Non, pas de règlement de compte ici, désolée pour ceux qui ont cliqué en espérant ça (Allons allons, vous me connaissez donc si mal ?)
Mais il est vrai que certains reconnaîtront sans mal dans cette question le reflet d'un échange que j'eus avec un écrivain sur un forum. La question était simple, je tutoyai l'écrivain et il en prit ombrage, me disant qu'il ne me le permettait pas. Là où la chose fut amusante c'est que j'avais spontanément vouvoyé plusieurs personnes avant cela et qu'on me fit remarquer que ce n'était point d'usage sur les forums.
Bien. Mais la question est : pourquoi ?
Explication pragmatique mais désespérante :
Le tutoiement est plus facile et se tape plus vite. "J'T KC" va plus vite à écrire que "Je crois vous avoir fait étalage d'une rhétorique propre à vous laisser... pantois"
Dans la mesure où nous sommes sur des forums littéraires où le sms est proscrit, gageons que cet argument ne soit pas le bon. Même s'il nous faut garder à l'esprit que la perméabilité du net pourrait expliquer que le tutoiement se soit étendu depuis des communautés moins regardantes sur la tenue linguistique.
Explication plausible qui ne me sied guère :
Comme je le disais dans mon article précédent (non, vous n'êtes pas obligés de le lire, il est long et sans queue ni tête), le net est cet endroit magique où tout le monde est votre ami. Vous faites un post sur un forum où vous expliquez que vous avez "marché dedans" et on vous gratifiera en mode automatique d'autant de smileys dégoulinants d'amour que le gars qui vient d'annoncer le décès de son père (je caricature, mais à peine). Le tutoiement partirait de ce même principe qui consiste à faire du premier venu votre super pote comme si vous aviez gardé les Shetland ensemble.
Explication qui m'agrée le plus :
Pour moi, le tutoiement ne se justifie que pour une raison sur le net (en tout cas sur les forums, qui est le milieu où j'essaie d'en user). Quand un forum se crée, il y a généralement un noyau dur de gens qui se connaissent déjà. A cela viennent s'ajouter d'autres bandes (qui a dit "clans" ? Non, pitié, oubliez ce mot !) de gens qui se connaissent aussi. Et comme c'est un lieu public, des fans, des lecteurs, des voyageurs virtuels égarés, viennent se perdre sur les fils de cette toile. Or, il se trouve que sur les forums, le débat enflammé (constructif ou non c'est une autre histoire) est de mise. Si on laissait faire la nature (ou plutôt la culture en l'occurrence), il y aurait des intervenants intégrés qui se parleraient entre eux en se donnant des petits noms et en se tutoyant ; et les autres, ceux qu'on autorise tout juste à mettre un pied ici et à donner leur avis, mais tout de même avec un "vous" de circonstance. Ça met tout de suite à l'aise pour discuter !
L'égalité n'est déjà pas tout à fait de mise dans une communauté et les débordements de celui qui est intégré seront mieux tolérés que ceux des nouveaux. D'abord parce que "on sait qu'il est comme ça" ou bien au contraire "on sait que ce n'est pas son genre" et donc on cherche ce qu'il a voulu dire et exprimé maladroitement. Il y a les "second degré" qu'on interprète comme il faut quand on connaît leur auteur, les private joke, le fait de poursuivre des discussions déjà engagées ailleurs, le fait que le nouveau dit parfois un truc qui lui paraît intéressant alors que la chose a été débattue précédemment, etc...
S'intégrer à égalité dans une communauté déjà soudée (même si elle dessoude aussi parfois) n'est pas toujours facile, si on oblige le nouveau à un respect distancié en plus, je crains fort que sa capacité à discuter puisse en être réduite. Dans la mesure où ceux qui ouvrent des forums publics le font (normalement) pour permettre à chacun de s'exprimer, il est normal d'essayer de les mettre à l'aise.
Cela étant dit, toute personne qui n'est pas habituée à cette culture peut s'offenser de tant de familiarités (j'ai noté qu'elle le faisait d'autant plus facilement si elle était elle-même intégrée et renvoyait donc ainsi (sans doute inconsciemment) son interlocuteur au rang de "tout juste invité") et demander courtoisement à être vouvoyée. Ça ne me choque pas. D'autant moins que je suis absolument incapable de tutoyer un certain nombre des intervenants.
Comme quoi...